VOICI QUELQUES TEXTES QUE VOUS POUVEZ UTILISER AVEC LECTRA (niveau de lecteur: CM2-6eme) ( faites un copier-coller entre cet écran et Lectra ) -------------------------------------------------------------------------------- Comme il faisait froid! La neige tombait et la nuit n'était pas loin; c'était le dernier soir de l'année, la veille du jour de l'an. Au milieu de ce froid et de cette obscurité, une pauvre petite fille passa dans la rue, la tête et les pieds nus. Elle avait, il est vrai, des pantoufles en quittant la maison, mais elles ne lui avaient pas servi longtemps: c'étaient de grandes pantoufles que sa mère avait déjà usées, si grandes que la petite les perdit en se pressant de traverser la rue entre deux voitures. L'une fut réellement perdue; quant à l'autre, un gamin l'emporta avec l'intention d'en faire un berceau pour son petit enfant, quand le ciel lui en donnerait un. La petite fille cheminait sur ses petits pieds nus, qui étaient rouges et bleus de froid; elle avait dans son vieux tablier une grande quantité d'allumettes, et elle portait à la main un paquet. C'était pour elle une mauvaise journée; pas d'acheteurs, donc pas le moindre sou. Elle avait bien faim et bien froid, bien misérable mine. Pauvre petite! Les flocons de neige tombaient dans ses longs cheveux blonds, si gentiment bouclés autour de son cou; mais songeait-elle seulement à ses cheveux bouclés ? Les lumières brillaient aux fenêtres, le fumet des rôtis s'exhalait dans la rue ; c'était la veille du jour de l'an : voilà à quoi elle songeait. (Extrait de: La petite fille et les allumettes d'Andersen) -------------------------------------------------------------------------------- Elle s'assit et s'affaissa sur elle-même dans un coin, entre deux maisons. Le froid la saisit de plus en plus, mais elle n'osait pas retourner chez elle : elle rapportait ses allumettes, et pas la plus petite pièce de monnaie. Il la battrait ; et, du reste, chez elle, est-ce qu'il ne faisait pas froid aussi? Ils logeaient sous le toit, et le vent soufflait au travers, quoique les plus grandes fentes eussent été bouchées avec de la paille et des chiffons. Ses petites mains étaient presque mortes de froid. Hélas! Qu'une petite allumette leur ferait du bien! Si elle osait en tirer une seule du paquet, la frotter sur le mur et réchauffer ses doigts ! Elle en tira une : ritch ! Comme elle éclata! Comme elle brûla! C'était une flamme chaude et claire comme une petite chandelle, quand elle la couvrit de sa main. Quelle lumière bizarre! Il semblait à la petite fille qu'elle était assise devant un grand poêle de fer orné de boules et surmonté d'un couvercle en cuivre luisant. Le feu y brûlait si magnifique, il chauffait si bien! Mais qu'y a-t-il donc! La petite étendait déjà ses pieds pour les chauffer aussi; la flamme s'éteignit, le poêle disparut: elle était assise, un petit bout d'allumette brûlée à la main. (Extrait de: La petite fille et les allumettes d'Andersen) -------------------------------------------------------------------------------- Elle en frotta une seconde, qui brûla, qui brilla, et, là où la lueur tomba sur le mur, il devint transparent comme une gaze. La petite pouvait voir jusque dans une chambre où la table était couverte d'une nappe blanche, éblouissante de fines porcelaines, et sur laquelle une oie rôtie, farcie de pruneaux et de pommes, fumait avec un parfum délicieux. O surprise! Tout à coup l'oie sauta de son plat et roula sur le plancher, la fourchette et le couteau dans le dos, jusqu'à la pauvre fille. L'allumette s'éteignit: elle n'avait devant elle que le mur épais et froid. En voilà une troisième allumée. Aussitôt elle se vit assise sous un magnifique arbre de Noël ; il était plus riche et plus grand encore que celui qu'elle avait vu, à la Noël dernière, à travers la porte vitrée, chez le riche marchand. Mille chandelles brûlaient sur les branches vertes, et des images de toutes couleurs, comme celles qui ornent les vitrines des magasins, semblaient lui sourire. La petite éleva les deux mains: l'allumette s 'éteignit ; toutes les chandelles de Noël montaient, montaient, et elle s'aperçut alors que ce n'était que les étoiles. Une d'elle tomba et traça une longue raie de feu dans le ciel. -C'est quelqu'un qui meurt, se dit la petite; car sa vieille grand-mère, qui seule avait été bonne pour elle, mais n'était plus, lui répétait souvent: (Extrait de: La petite fille et les allumettes d'Andersen) -------------------------------------------------------------------------------- Lorsqu' une étoile tombe, c'est qu'une âme monte à Dieu. Elle frotta encore une allumette sur le mur : il se fit une grande lumière au milieu de laquelle la grand-mère se tenait debout, avec un air si doux, si radieux! -Grand-mère, s'écria la petite, emmène-moi. Lorsque l'allumette s'éteindra, je sais que tu n'y seras plus. Tu disparaîtras comme le poêle de fer, comme l'oie rôtie, comme le bel arbre de Noël. Elle frotta promptement le reste du paquet, car elle tenait à garder sa grand-mère, et les allumettes répandirent un éclat plus vif que celui du jour. Jamais la grand-mère n'avait été si grande et si belle. Elle prit la petite fille sur son bras, et toutes les deux s'envolèrent joyeuses au milieu de ce rayonnement, si haut, si haut, qu'il n'y avait plus ni froid, ni faim, ni angoisse ; elles étaient chez Dieu. Mais dans le coin, entre les deux maisons, était assise, quand vint la froide matinée, la petite fille, les joues toutes rouges, le sourire sur la bouche... morte, morte de froid, le dernier soir de l'année. Le jour de l'an se leva sur le petit cadavre assis là avec les allumettes, dont un paquet avait été presque tout brûlé. -Elle a voulu se chauffer ! dit quelqu'un. Tout le monde ignora les belles choses qu'elle avait vues, et au milieu de quelle splendeur elle était entrée avec sa vieille grand-mère dans la nouvelle année. (Extrait de: La petite fille et les allumettes d'Andersen) -------------------------------------------------------------------------------- Francet Mamaï, un vieux joueur de fifre, qui vient de temps en temps faire la veillée chez moi, en buvant du vin cuit, m'a raconté l'autre soir un petit drame de village dont mon moulin a été témoin il y a quelque vingt ans. Le récit du bonhomme m'a touché, et je vais essayer de vous le redire tel que je l'ai entendu. Imaginez-vous pour un moment, chers lecteurs, que vous êtes assis devant un pot de vin tout parfumé, et que c'est un vieux joueur de fifre qui vous parle. Notre pays, mon bon monsieur, n'a pas toujours été un endroit mort et sans refrains comme il est aujourd'hui. Auparavant, il s'y faisait un grand commerce de meunerie, et, dix lieues à la ronde, les gens des mas nous apportaient leur blé à moudre... Tout autour du village, les collines étaient couvertes de moulins à vent. De droite et de gauche on ne voyait que des ailes qui viraient au mistral par-dessus les pins, des ribambelles de petits ânes chargés de sacs, montant et dévalant le long des chemins; et toute la semaine c'était plaisir d'entendre sur la hauteur le bruit des fouets, le craquement de la toile et le dia bue! des aides-meuniers... Le dimanche nous allions aux moulins, par bandes. Là-haut, les meuniers payaient le muscat. Les meunières étaient belles comme des reines, avec leurs fichus de dentelles et leurs croix d'or. Moi, j'apportais mon fifre et, jusqu'à la noire nuit, on dansait des farandoles. (Extrait de: Le secret de maître Cornille d'Alphonse Daudet) -------------------------------------------------------------------------------- Ces moulins-là, voyez-vous, faisaient la joie et la richesse de notre pays. Malheureusement, des Français de Paris eurent l'idée d'établir une minoterie à vapeur, sur la route de Tarascon. Tout beau, tout nouveau ! Les gens prirent l'habitude d'envoyer leurs blés aux minotiers, et les pauvres moulins à vent restèrent sans ouvrage. Pendant quelque temps ils essayèrent de lutter, mais la vapeur fut la plus forte et, l'un après l'autre, pécaïre! Ils furent tous obligés de fermer... On ne vit plus venir les petits ânes... Les belles meunières vendirent leurs croix d'or... Plus de muscat! Plus de farandole !... Le mistral avait beau souffler, les ails restaient immobiles... Puis, un beau jour, la commune fit jeter toutes ces masures à bas, et l'on sema à leur place de la vigne et des oliviers. Pourtant, au milieu de la débâcle, un moulin avait tenu bon et continuait de virer courageusement sur sa butte, à la barbe des minotiers. C'était le moulin de maître Cornille, celui-là même où nous sommes en train de faire la veillée en ce moment. (Extrait de: Le secret de maître Cornille d'Alphonse Daudet) -------------------------------------------------------------------------------- Maître Cornille était un vieux meunier, vivant depuis soixante ans dans la farine et enragé pour son état. L'installation des minoteries l'avait rendu comme fou. Pendant huit jours, on le vit courir par le village, ameutant tout le monde autour de lui et criant de toutes ses forces qu'on voulait empoisonner la Provence avec la farine des minotiers. -N'allez pas là-bas, disait-il; ces brigands-là, pour faire le pain, se servent de la vapeur, qui est une invention du diable, tandis que moi je travaille avec le mistral et la tramontane, qui sont la respiration du Bon Dieu... Et il trouvait comme cela une foule de belles paroles à la louange des moulins à vent, mais personne ne les écoutait. Alors, de male rage, le vieux s'enferma dans son moulin et vécut tout seul comme une bête farouche. Il ne voulut pas même garder près de lui sa petite-fille Vivette, une enfant de quinze ans, qui, depuis la mort de ses parents, n'avait plus que son grand au monde. La pauvre petite fut obligée de gagner sa vie et de se louer un peu partout dans les mas, pour la moisson, les magnans ou les olivades. Et pourtant son grand-père avait l'air de bien l'aimer, cette enfant-là. Il lui arrivait souvent de faire ses quatre lieues à pied, par le grand soleil, pour aller la voir au mas où elle travaillait, et quand il était près d'elle, il passait des heures entières à la regarder en pleurant. (Extrait de: Le secret de maître Cornille d'Alphonse Daudet) -------------------------------------------------------------------------------- Dans le pays on pensait que le vieux meunier, en renvoyant Vivette, avait agi par avarice; et cela ne lui faisait pas honneur de laisser sa petite-fille ainsi traîner d'une ferme à l'autre, exposée aux brutalités des vaïles, et à toutes les misères des jeunesses en condition. On trouvait très mal aussi qu'un homme du renom de maître Cornille, et qui, jusque-là, s'était respecté, s'en allât maintenant par les rues comme un vrai bohémien, pieds nus, le bonnet troué, la taillole en lambeaux... Le fait est que le dimanche, lorsque nous le voyions entrer à la messe, nous avions honte pour lui, nous autres les vieux; et Cornille le sentait si bien qu'il n'osait plus venir s'asseoir sur le banc d'oeuvre. Toujours il restait au fond de l'église, près du bénitier, avec les pauvres. Dans la vie de maître Cornille il y avait quelque chose qui n'était pas clair. Depuis longtemps, personne, au village, ne lui portait plus de blé, et pourtant les ailes de son moulin allaient toujours leur train comme devant... Le soir, on rencontrait par les chemins le vieux meunier poussant devant lui son âne chargé de gros sacs de farine. -Bonnes vêpres, maître Cornille! lui criaient les paysans; ça va donc toujours, la meunerie? -Toujours, mes enfants, répondait le vieux d'un air gaillard. Dieu merci, ce n'est pas l'ouvrage qui nous manque. (Extrait de: Le secret de maître Cornille d'Alphonse Daudet) -------------------------------------------------------------------------------- Alors, si on lui demandait d'où diable pouvait venir tant d'ouvrage, il se mettait un doigt sur les lèvres et répondait gravement: -Motus! je travaille pour l'exportation... Jamais on n'en put tirer davantage. Quant à mettre le nez dans son moulin, il n'y fallait pas songer. La petite Vivette elle-même n'y entrait pas... Lorsqu'on passait devant, on voyait la porte toujours fermée, les grosses ailes toujours en mouvement, le vieil âne broutant le gazon de la plate-forme, et un grand chat maigre qui prenait le soleil sur le rebord de la fenêtre et vous regardait d'un air méchant. Tout cela sentait le mystère et faisait beaucoup jaser le monde Chacun expliquait à sa façon le secret de maître Cornille, mais le bruit général était qu'il y avait dans ce moulin-là encore plus de sacs d'écus que de sacs de farine. A la longue pourtant tout se découvrit; voici comment: En faisant danser la jeunesse avec mon fifre, je m'aperçus un beau jour que l'aîné de mes garçons et la petite Vivette s'étaient rendus amoureux l'un de l'autre. Au fond je n'en fus pas fâché, parce qu'après tout le nom de Cornille était en honneur chez nous, et puis ce joli petit passereau de Vivette m'aurait fait plaisir à voir trotter dans ma maison. Seulement, comme nos amoureux avaient souvent occasion d'être ensemble, je voulus, de peur d'accident, régler l'affaire tout de suite, et je montai jusqu'au moulin pour en toucher deux mots au grand-père... Ah! le vieux sorcier ! il faut voir de quelle manière il me reçut ! (Extrait de: Le secret de maître Cornille d'Alphonse Daudet) -------------------------------------------------------------------------------- Impossible de lui faire ouvrir sa porte. Je lui expliquai mes raisons tant bien que mal, à travers le trou de la serrure; et tout le temps que je parlais, il y avait ce coquin de chat maigre qui soufflait comme un diable au-dessus de ma tête. Le vieux ne me donna pas le temps de finir, et me cria fort malhonnêtement de retourner à ma flûte; que, si j'étais pressé de marier mon garçon, je pouvais bien aller chercher des filles à la minoterie... Pensez que le sang me montait d'entendre ces mauvaises paroles; mais j'eus tout de même assez de sagesse pour me contenir, et, laissant ce vieux fou à sa meule, je revins annoncer aux enfants ma déconvenue... Ces pauvres agneaux ne pouvaient pas y croire; ils me demandèrent comme une grâce de monter tous deux ensemble au moulin, pour parler au grand-père... Je n'eus pas le courage de refuser, et prrt! voilà mes amoureux partis. Tout juste comme ils arrivaient là-haut, maître Comille venait de sortir. La porte était fermée à double tour; mais le vieux bonhomme, en partant, avait laissé son échelle dehors, et tout de suite l'idée vint aux enfants d'entrer par la fenêtre, voir un peu ce qu'il y avait dans ce fameux moulin... Chose singulière! la chambre de la meule était vide... (Extrait de: Le secret de maître Cornille d'Alphonse Daudet) -------------------------------------------------------------------------------- Pas un sac, pas un grain de blé; pas la moindre farine sur les murs ni sur les toiles d'araignée... On ne sentait pas même cette bonne odeur chaude de froment écrasé qui embaume dans les moulins... L'arbre de couche était couvert de poussière, et le grand chat maigre dormait dessus. La pièce du bas avait le même air de misère et d'abandon: un mauvais lit, quelques guenilles, un morceau de pain sur une marche d'escalier, et puis, dans un coin, trois ou quatre sacs crevés d'où coulaient des gravats et de la terre blanche. C'était là le secret de maître Cornille! C'était ce plâtras qu'il promenait le soir par les routes, pour sauver l'honneur du moulin et faire croire qu'on y faisait de la farine... Pauvre moulin ! Pauvre Cornille ! Depuis longtemps les minotiers leur avaient enlevé leur demière pratique. Les ailes viraient toujours, mais la meule tournait à vide. Les enfants revinrent tout en larmes me conter ce qu'ils avaient vu. J'eus le coeur crevé de les entendre... Sans perdre une minute, je courus chez les voisins, je leur dis la chose en deux mots, et nous convînmes qu'il fallait, sur l'heure, porter au moulin de Cornille tout ce qu'il y avait de froment dans les maisons.,. Sitôt dit, sitôt fait. Tout le village se met en route, et nous arrivons là-haut avec une procession d'ânes chargés de blé, du vrai blé, celui-là ! (Extrait de: Le secret de maître Cornille d'Alphonse Daudet) -------------------------------------------------------------------------------- Le moulin était grand ouvert... Devant la porte, maître Cornille, assis sur un sac de plâtre, pleurait, la tête dans ses mains. Il venait de s'apercevoir, en rentrant, que pendant son absence on avait pénétré chez lui et surpris son triste secret. -Pauvre de moi! disait-il. Maintenant, je n'ai plus qu'à mourir... Le moulin est déshonoré. Et il sanglotait à fendre l'âme, appelant son moulin par toutes sortes de noms, lui parlant comme à une personne véritable. A ce moment, les ânes arrivent sur la plate-forme, d nous nous mettons tous à crier bien fort. comme au beau temps des meuniers: -Ohé! du moulin!... Ohé! maître Cornille! Et voilà les sacs qui s'entassent devant la porte et le beau grain roux qui se répand par terre, de tous côtés... Maître Cornille ouvrait de grands yeux. Il avait pris du blé dans le creux de sa vieille main et il disait, riant et pleurant à la fois: -C'est du blé!... Seigneur Dieu!... Du bon blé! Laissez-moi que je le regarde. Puis se tournant vers nous: (Extrait de: Le secret de maître Cornille d'Alphonse Daudet) -------------------------------------------------------------------------------- Ah! je savais bien que vous me reviendriez... Tous ces minotiers sont des voleurs. Nous voulions l'emporter en triomphe au village: -Non, non, mes enfants; il faut avant tout que j'aille donner à manger à mon moulin... Pensez donc! il y a si longtemps qu'il ne s'est rien mis sous la dent! Et nous avions tous des larmes dans les yeux de voir le pauvre vieux se démener de droite et de gauche, éventrant les sacs, surveillant la meule, tandis que le grain s'écrasait et que la fine poussière de froment s'envolait au plafond. C'est une justice à nous rendre: à partir de ce jour-là, jamais nous ne laissâmes le vieux meunier manquer d'ouvrage. Puis, un matin, maître Cornille mourrut, et les ailes de notre dernier moulin cessèrent de virer, pour toujours cette fois... Cornille mort, personne ne prit sa suite. Que voulez-vous, monsieur!... tout a une fin en ce monde, et il faut croire que le temps des moulins à vent était passé comme celui des coches sur le Rhône, des parlements et des jaquettes à grandes fleurs. (Extrait de: Le secret de maître Cornille d'Alphonse Daudet) -------------------------------------------------------------------------------- Au beau milieu de la rue se trouvait une antique maison, elle avait plus de trois cents ans: c'est là ce qu'on pouvait lire sur la grande poutre, où au milieu de tulipes et de guirlandes de houblon était gravée l'année de la construction. Et on y lisait encore des versets tirés de la Bible et des bons auteurs profanes; au-dessus de chaque fenêtre étaient sculptées des figures qui faisaient toute espèce de grimaces. Chacun des étages avançait sur celui d'en dessous; le long du toit courait une gouttière, ornée de gros dragons, dont la gueule devait cracher l'eau des pluies; mais elle sortait aujourd'hui par le ventre de la bête; par suite des ans, il s'était fait des trous dans la gouttière. Toutes les autres maisons de la rue étaient neuves et belles à la mode régnante; les carreaux de vitre étaient grands et toujours bien propres; les murailles étaient lisses comme du marbre poli. Ces maisons se tenaient bien droites sur leurs fondations, et l'on voyait bien à leur air qu'elles n'entendaient rien avoir de commun avec cette construction des siècles barbares. -N'est-il pas temps, se disaient-elles, qu'on démolisse cette bâtisse surannée, dont l'aspect doit scandaliser tous les amateurs du beau? (Extrait de: La vieille maison d'Andersen) -------------------------------------------------------------------------------- Voyez donc toutes ces moulures qui s'avancent et qui empêchent que de nos fenêtres on distingue ce qui se passe dans la baraque. Et l'escalier donc qui est aussi large que si c'était un château ! Que d'espace perdu ! Et cette rampe en fer forgé, est-elle assez prétentieuse ! Comme ceux qui s'y appuient doivent avoir froid aux mains ! Comme tout cela est sottement imaginé ! Dans une des maisons neuves, bien propres, d'un goût bien prosaïque, celle qui était juste en face, se tenait souvent à la fenêtre un petit garçon aux joues fraîches et roses; ses yeux vifs brillaient d'intelligence. Lui, il aimait à contempler la vieille maison; elle lui plaisait beaucoup, qu'elle fût éclairée par le soleil ou par la lune. Il pouvait rester des heures à la considérer, et alors il se représentait les temps où, comme il l'avait vu sur une vieille gravure, toutes les maisons de la rue étaient construites dans ce même style, avec des fenêtres en ogive, des toits pointus, un grand escalier menant à la porte d'entrée, des dragons et autres terribles gargouilles tout autour des gouttières; et, au milieu de la rue, passaient des archers, des soldats en cuirasse, armés de hallebardes. (Extrait de: La vieille maison d'Andersen) -------------------------------------------------------------------------------- C'était vraiment une maison qu'on pouvait contempler pendant des heures. Il y demeurait un vieillard qui portait des culottes de peau et un habit à grands boutons de métal, tout à fait à l'ancienne mode; il avait aussi une perruque, mais une perruque qui paraissait bien être une perruque, et qui ne servait pas à simuler habilement de vrais cheveux. Tous les matins, un vieux domestique venait, nettoyait, faisait le ménage et les commissions, puis s'en allait. Le vieillard à culottes de peau habitait tout seul la vieille maison. Parfois il s'approchait de la fenêtre; un jour, le petit garçon lui fit un gentil signe de tête en forme de salut; le vieillard fit de même ; le lendemain ils se dirent de nouveau bonjour, et bientôt ils furent une paire d'amis, sans avoir jamais échangé une parole. Le petit garçon entendit ses parents se dire: -Le vieillard d 'en face a de bien grandes richesses ; mais c'est affreux comme il vit isolé de tout le monde . Le dimanche d'après, l'enfant enveloppa quelque chose dans un papier, sortit dans la rue et accostant le vieux domestique qui faisait les commissions, il lui dit : -Ecoute ! Veux-tu me faire un plaisir et donner cela de ma part à ton maître ? J'ai deux soldats de plomb ; en voilà un ; je le lui envoie pour qu'il ait un peu de société ; je sais qu'il vit tellement isolé de tout le monde, que c'est lamentable. Le vieux domestique sourit, prit le papier et porta le soldat de plomb à son maître. (Extrait de: La vieille maison d'Andersen) -------------------------------------------------------------------------------- Un peu après, il vint trouver les parents, demandant si le petit garçon ne voulait pas venir rendre visite au vieux monsieur. Les parents donnèrent leur permission, et le petit partit pour la vieille maison. Les trompettes sculptés sur la porte, ma foi, avaient les joues plus bouffies que d'ordinaire, et si on avait bien prêté l'oreille, on les aurait entendus, qui soufflaient dans leurs instruments : -Schnetterendeng ! Ta-ra-ra-ta : le voilà, le voilà, le petit schnetterendeng ! La grande porte s'ouvrit. Le vestibule était tout garni de vieux portraits de chevaliers revêtus de cuirasses, de châtelaines en robes de damas et de brocart; l'enfant crut entendre les cuirasses résonner et les robes rendre un léger froufrou. Il arriva à un grand escalier, avec une belle rampe en fer tout ouvragée, et ornée de grosses boules de cuivre, où on pouvait se mirer; elles brillaient comme si on venait de les nettoyer pour fêter la visite du petit garçon, la première depuis tant d'années. Après avoir monté bien des marches, l'enfant aperçut, donnant sur une vaste cour, un grand balcon; mais les planches avaient des fentes et des trous en quantité ; elles étaient couvertes de mousse, d'herbe, de sedum, et toute la cour et les murailles étaient de même vertes de plantes sauvages qui poussaient là sans que personne s'en occupât. Sur le balcon se trouvaient de grands pots de fleurs, en vieille et précieuse faïence; ils avaient la forme de têtes fantastiques, à oreilles d'âne en guise d'anses; il y poussait des plantes rares; c'étaient des touffes de feuilles, sans presque aucune fleur. (Extrait de: La vieille maison d'Andersen) -------------------------------------------------------------------------------- Il y avait là un pot d' oeillet tout en verdure, et il chantait à voix basse : -Le vent m'a caressé, le soleil m'a donné une petite fleur, une petite fleur pour dimanche. Ensuite, le petit garçon passa par une grande salle ; les murs étaient recouverts de cuir gaufré, à fleurs et arabesques toutes dorées, mais ternies par le temps. -La dorure passe, le cuir reste, marmottaient les murailles. Puis l'enfant fut conduit dans la chambre où se tenait le vieux monsieur, qui l'accueillit avec un doux sourire, et lui dit : -Merci pour le soldat de plomb, mon petit ami; et merci encore de ce que tu es venu me voir. Et les hauts fauteuils en chêne, les grandes armoires et les autres meubles en bois des îles craquaient, et disaient : -knick, knack, ce qui pouvait bien vouloir dire : -Bien le bonjour ! Le soir, le petit garçon rentra chez lui. Des semaines s'écoulèrent, et l' hiver arriva. Les fenêtres étaient gelées, et l'enfant était obligé de souffler longtemps sur les carreaux, pour y faire un rond par lequel il pût apercevoir la vieille maison. Les sculptures de la porte, les tulipes, les trompettes, on les voyait à peine, tant la neige les recouvrait. La vieille maison paraissait encore plus tranquille et silencieuse que d'ordinaire; et, en effet, il n'y demeurait absolument plus personne: le vieux monsieur était mort, il s'était doucement éteint. (Extrait de: La vieille maison d'Andersen) -------------------------------------------------------------------------------- Le soir, comme c'était l'usage dans le pays, une voiture tendue de noir s'arrêta devant la porte ; on y plaça un cercueil, qu'on devait porter bien loin, pour le mettre dans un caveau de famille. La voiture se mit en marche ; personne ne suivait que le vieux domestique; tous les amis du vieux monsieur étaient morts avant lui. Le petit garçon pleurait, et il envoyait de la main des baisers d'adieu au cercueil. Quelques jours après, la vieille maison fut pleine de monde, on y faisait la vente de tout ce qui s'y trouvait. Et, de la fenêtre, le petit garçon vit partir, dans tous les sens, les chevaliers, les châtelaines, les pots de fleurs en faïence, les fauteuils qui poussaient des knik-knak plus forts que jamais. Le portrait de la belle dame retourna chez le marchand de bric-à-brac; si vous voulez le voir, vous le trouverez encore chez lui; personne ne l'a acheté, personne n'y a fait attention. Au printemps, on démolit la vieille maison. (Extrait de: La vieille maison d'Andersen) -------------------------------------------------------------------------------- Ce n'est pas dommage qu'on fasse disparaître cette antique baraque, dirent les imbéciles, et ils étaient nombreux comme partout. Et, pendant que les maçons donnaient des coups de pioche, qui fendaient le coeur du petit garçon, on voyait, de la rue, pendre des lambeaux de la tapisserie en cuir doré, et les tulipes volaient en éclats, et les trompettes tombaient par terre, lançant un dernier schnetterendeng. Enfin, on enleva tous les décombres et on construisit une grande belle maison à larges fenêtres et à murailles bien lisses, proprement peintes en blanc. Par devant, on laissa un espace pour un gentil petit jardin qui, sur la rue, était entouré d'une jolie grille neuve : -Que tout cela a bonne façon ! disaient les voisins. Dans le jardin, il y avait des allées bien droites, et des massifs bien ronds; les plantes étaient alignées au cordeau, et ne poussaient pas à tort et à